Au moment où le président Laurent Gbagbo foule la terre ivoirienne après dix ans de privation de liberté, peut-on considérer que c’est le fruit de la mansuétude du président Alassane Ouattara ou plutôt que c’est par contrainte que ce dernier se résout à laisser son prédécesseur revenir ?
Aujourd’hui, Alassane Ouattara est dans une solitude politique. Il est considérablement affaibli par de multiples événements qui l’ont dépouillé de l’assurance auréolée de sa prise de pouvoir en avril 2011.
Il y a notamment la fin de l’idylle avec le président Bédié, le Parti Démocratique de Côte d’Ivoire (PDCI) ayant claqué la porte du Rassemblement des Houphouëtistes pour la Démocratie et la Paix (RHDP). Cela a porté un coup dur à la présidence de Monsieur Ouattara. On connaît le poids du PDCI sur l’échiquier politique. Autre événement majeur : la rupture des relations avec Guillaume Soro a été un séisme qui a ébranlé le pouvoir. Monsieur Soro avait mis la force de sa rébellion au service de la prise de pouvoir de Monsieur Ouattara. Dans la foulée, de nombreux autres partis ont quitté le regroupement RHDP. Puis il y a eu une élection présidentielle de ‘’repli sur soi’’ et un troisième mandat de trop qui ont achevé l’isolement du président Ouattara. Enfin, le décès de ses deux Premiers Ministres en moins d’une année a accentué l’affaiblissement du régime.
En 2021, le pays est dans une instabilité politique et sociale, avec de nombreuses mutineries militaires qui se sont produites ces dernières années. La réconciliation n’est pas au rendez-vous et l’arrivée de la crise sanitaire a aggravé la vie des ivoiriens. Le terrorisme frappe dans le nord après une incursion jusqu’à Grand Bassam, au sud du pays. L’incertitude est réelle.
Après l’éclatante victoire judiciaire de Gbagbo devant une juridiction internationale, l’impact psychologique était tel que le président Ouattara ne pouvait ni agiter l’épouvantail de la justice ivoirienne dans le cadre de l’affaire du casse de la BCEAO pour empêcher son retour, ni interdire à l’avion de Monsieur Gbagbo de se poser comme ce fut le cas lorsque Monsieur Guillaume Soro a tenté de rentrer en Côte d’Ivoire en décembre 2019.
Au final, le réel affaiblissement politique d’Alassane Ouattara allié à la victoire judiciaire de Gbagbo oblige le pouvoir ivoirien à ne rien tenter contre le retour de « l’homme politique le plus en vue désormais en Côte d’Ivoire». L’arrivée de Laurent Gbagbo en Côte d’Ivoire est plus une contrainte pour Alassane Ouattara que le fruit de sa grandeur d’âme.
Initialement idole des jeunes ivoiriens, Laurent Gbagbo est devenu une icône de la jeunesse africaine au fil de la guerre en Côte d’Ivoire puis de son procès au Pays-Bas.
Petite rétrospective d’avril 2011. . .
Arrestation humiliante du président Gbagbo, transfèrement et emprisonnement à la Haye en vue du procès. C’était un tableau politiquement déséquilibré et diplomatiquement presque unipolaire au profit de Monsieur Ouattara.
Diplomatiquement, de nombreux pays se sont mobilisés au sein de l’ONU contre le président Laurent Gbagbo, sous un activisme affirmé du président Nicolas Sarkozy. Cela a débouché sur la mise en place d’une force militaire internationale qui a fait le coup de feu en Côte d’Ivoire.
A l’intérieur du pays, de nombreuses forces politiques se sont coalisées pour casser l’élan politique de Monsieur Gbagbo. Le spectre était large et reposait essentiellement sur le Rassemblement Des Républicains (RDR) d’Alassane Dramane Ouattara, le PDCI d’Henri Konan Bédié et l’ancienne rébellion de Guillaume Guigbafori Soro.
Il y a 10 ans, peu de gens misait sur Gbagbo !
Ce 17 juin 2021 . . .
C’est un retour triomphal que fait l’ancien président de Côte d’ivoire, tel que très peu de ses prédécesseurs ont pu en bénéficier en Afrique. Il est même le seul en Afrique de l’Ouest à susciter un tel engouement populaire, après huit ans passés dans une prison de la Cour pénale internationale.
Son retour ouvre une nouvelle page de la politique ivoirienne et peut être une opportunité pour la réconciliation. Plus généralement, cela peut également être une heureuse perspective pour l’Afrique de l’Ouest. Il faut nourrir l’espérance !
Nathaniel Olympio
Président du Parti des Togolais